La perspective de la souris
Les vies longues de la maison : matières, temporalités et agencements multiples dans les constructions
À 19 heures, une soirée d’octobre déjà sombre, dans un amphithéâtre aux bancs et tables de bois de l’université de Strasbourg, quelques participants, étudiants et enseignants-chercheurs, ont bravé la fraîcheur automnale et les courants d’air persistants des bâtiments dont le chauffage est encore éteint pour assister à la conférence d’ouverture du colloque « Habitabilités : architecture, ville et nature à l’ère de l’anthropocène ». Naviguant entre philosophie, théorie architecturale et anthropologie, le propos rappelle la nécessité de poser la question des habitabilités à partir du vivant, et de repartir des vulnérabilités pour penser les lieux sous l’angle du concept de « soin » (care2) et de celui des présences humaines et non humaines. Aujourd’hui, conclut l’oratrice, tout, en architecture, se rapporte au cycle des transformations des constructions plutôt qu’à des entités autonomes : l’architecte, le bâtiment, les usagers. Ignorante de ce discours académique, mais partageant le moment et sans doute l’opportunité de récupérer quelques miettes (après tout, c’est l’heure du dîner), une petite souris fourre son museau pointu entre les lattes de bois des travées centrales. Elle semble chez elle, et on l’imagine sans peine s’apprêter à rejoindre son nid dans un recoin de l’amphithéâtre, un « chez-soi » fait de bouts de fils de laine et de coton provenant des écharpes et des bonnets oubliés par les étudiants. Les deux mondes s’ignorent cordialement, la souris suscite tout au plus quelques regards amusés ou un geste pour faire fuir l’animal qui s’est aventuré trop près des pieds des humains, occupés à explorer les sphères plus éthérées de la pensée. Mais son effroi est passager et elle revient à la charge sans attendre, à la recherche de son repas. En savoir plus