Créé en 2022, le Laboratoire interdisciplinaire en études culturelles/Lab for interdisciplinary cultural studies, a pour ambition de fonder un nouveau paradigme au sein des études culturelles au niveau national et international.

Le Laboratoire interdisciplinaire en études culturelles/Lab for interdisciplinary cultural studies a été fondé le 1er janvier 2022. Aussi international que pionnier en France, le LinCS a pour ambition d’ouvrir une voie nouvelle dans le domaine des études culturelles. Pour ce faire, il entend faire fructifier l’héritage des Kulturwissenschaften allemandes, dont Strasbourg est un haut-lieu historique parmi les universités du Rhin supérieur. Le LinCS se reconnaît également dans la dimension critique et la modernité des cultural studies anglo-saxonnes. Son projet scientifique est ancré dans l’enquête de terrain nourrie des apports croisés de l’anthropologie, de la sociologie et de l’histoire contemporaine.

L’interdisciplinarité fondatrice du LinCS s’inscrit dans une perspective résolument transfrontalière. L’idée évoque tout aussi bien le passage des frontières entre les domaines de connaissance que la coopération franco-allemande, sur l’axe de laquelle le LinCS entend se développer. Son nom laisse entendre cette volonté de tisser des liens, tout comme il inscrit le laboratoire dans la tradition des instituts de l’espace rhénan qui ont fait l’histoire des sciences humaines et sociales de Bâle à Francfort. L’idée-force est donc de penser, mais surtout de pratiquer les études culturelles à la fois comme une forme de recherche fondamentale et une science sociale publique. Cette dernière doit être capable de transcender les murs de nos universités pour « faire savoir » et prendre part à la res publica.

Faire sens : les cultures en question

Notre conception de l’étude des cultures rompt d’emblée avec toute forme d’essentialisme. Elle est avant tout connectée aux flux des expériences – autant de manières de faire sens des communautés et des sociétés, ainsi que des façons d’être et d’exister ensemble ou séparés. L’accent porté sur les manières de faire sens indique que nos enquêtes cherchent à saisir les processus de signification à l’entrecroisement des interactions, des temporalités et des forces structurelles qui orientent les engagements personnels ou institutionnels.

Une telle manière de pratiquer la recherche implique une conception dynamique de la culture et une idée des « études culturelles » plus ancienne que le mouvement contemporain des cultural studies. Car envisager l’infinie diversité des cultures comme autant de maillages de significations au travers desquels nous appréhendons le monde et agissons au quotidien est une idée fondatrice de la tradition rhénane en sciences humaines et sociales. Strasbourg a constitué l’un de ses foyers. D’autres ont été diversement incarnés par Wilhelm Dilthey puis Max Weber à Heidelberg, Aby Warburg (formé à Bonn), ou encore Georg Simmel à Strasbourg. Autant de programmes de recherche et d’universités dont les connexions ont exercé une influence décisive sur ces pionniers américains des sciences sociales que furent Robert Park et W.E.B. DuBois (formés à Strasbourg et Heidelberg). Aux côtés de Fribourg-en-Brisgau et d’Heidelberg, Strasbourg apparaît également comme l’un des creusets intellectuels de l’école de Bade. Des philosophes et des historiens tels qu’Heinrich Rickert ou Wilhelm Windelband y ont élaboré leurs critiques du positivisme et proposé une approche des cultures qui a durablement marqué les sciences sociales, depuis l’œuvre wébérienne – dont l’anthropologie interprétative de Clifford Geertz s’est réclamée – jusqu’aux derniers développements de la cultural sociology.

Toutes ces forces vives issues du creuset interdisciplinaire des Kulturwissenschaften ont donné aux cultural studies l’une de leurs impulsions fondatrices. Situer leur origine au moment du cultural turn, lorsqu’en 1964 le Center for Contemporary Cultural Studies a été créé à l’université de Birmingham, relève donc d’un défaut de perspective historique. C’est oublier la tradition allemande : un legs que nous entendons réarticuler à l’actualité foisonnante des études culturelles. Autrement dit, notre manière d’inscrire le LinCS dans le mouvement global des cultural studies revient à concevoir l’originalité de son projet à partir de l’héritage des Kulturwissenschaften, dans le développement desquelles les universités du Rhin supérieur ont joué un rôle majeur. Nombre d’entre elles ont d’ores et déjà connecté leurs fondations aux derniers développements des cultural studies. Le LinCS accomplit ce travail à Strasbourg. La spécificité de son positionnement géographique, culturel et épistémologique réunit toutes les conditions nécessaires pour une appropriation novatrice des études culturelles – aussi incontournables dans la redéfinition globale des sciences humaines et sociales que mal représentées dans l’espace académique français.

Incarner, altériser, dévier : le LinCS décliné en trois thématiques-clés

Si elle est vaste, l’ambition affichée par le LinCS doit aussi être dirigée afin d’éviter qu’elle ne se perde dans une trop grande diversité d’objets. Aussi avons-nous conçu un work in progress autour de trois thématiques-clés. Celles-ci ne se traduisent pas en autant d’équipes qui fonctionneraient isolément les unes des autres. Il s’agit plutôt de thèmes fédérateurs pour l’ensemble des chercheuses et des chercheurs. La perspective est donc celle d’une interdiscipline fondée par les apports croisés de l’anthropologie, de la sociologie et de l’histoire contemporaine. Ces croisements suscitent les comparaisons – entre disciplines, mais aussi entre terrains d’enquête et niveaux d’approche (autant de jeux d’échelles – du micro au macro, ou du local au global – appréhendés de diverses façons). C’est à partir d’un tel socle que nous dirigeons nos efforts dans trois directions qui prolongent et renouvellent les grandes voies de recherche ouvertes par les sciences sociales à Strasbourg. Au-delà des traditions locales, elles s’avèrent également structurantes du mouvement des studies considéré à un niveau plus global.

« Incarner », « altériser » et « dévier » constituent ce triptyque dont les désignations thématiques prennent la forme de verbes, car il s’agit toujours de situer la recherche au plus près des interactions. Trois grands domaines d’expérience dont les cadres doivent être compris à l’intersection des engagements interactionnels et des forces structurelles. L’action de ces forces est observée à l’échelle des existences, comme à celle des collectifs – communautés, (micro)sociétés, institutions – qui engagent les personnes dans différentes formes de socialisation, de rapport au monde et de temporalité. C’est dire que dans le type de recherche que nous entendons développer, l’action des forces culturelles, sociales, historiques, économiques, juridiques ou politiques n’est jamais présupposée à la suite de tel ou tel modèle théorique, mais plutôt recomposée à partir d’un ancrage fort dans l’expérience, à la fois lieu de l’action et de l’enquête déployée dans nos trois domaines de prédilection.

Incarner

Les recherches sur les dimensions incarnées de la vie sociale sont une tradition à Strasbourg. Le LinCS poursuit autant qu’il renouvèle ces enquêtes qui envisagent le corps dans toutes ses dimensions – qu’elles soient liées aux manières de vivre le genre et la sexualité, aux émotions et à la phénoménologie des perceptions, ou aux questions de santé. Les critical medical humanities sont d’ailleurs inscrites parmi les priorités du LinCS car elles posent des questions majeures, tant en matière de gestion des crises que pour l’avenir de nos sociétés ; la pandémie de Covid-19 n’a fait qu’en attester. Il s’agit cependant moins de faire une anthropologie, une sociologie ou une histoire du corps que d’enquêter à partir des dimensions incarnées de la vie sociale : celles-là mêmes qui nous mettent aux prises avec le quotidien, nos manières d’être au monde et de faire face à toutes sortes d’épreuves – liées à la maladie, à la sexualité, à la mort ainsi qu’à toutes les façons dont les rapports de pouvoir peuvent passer à l’intérieur des corps.

Domaines d’étude associés : corps et santé, genre et sexualité, humanité augmentée, cultures corporelles et matérielles, émotions et phénoménologie des perceptions.

Altériser

Ce verbe, qui est aussi un néologisme assumé, désigne la constitution de l’« autre ». Celle-ci peut être observée dans différentes formes de rapports sociaux inégalitaires, de même qu’aux frontières de l’« humain » dont le tracé varie dans l’espace et le temps. Ces variations sur les différents thèmes de l’altérité ont fondé la problématique de l’anthropologie et l’étude comparative des sociétés. Elles se situent donc au cœur des sciences sociales et conduisent aussi bien à questionner la construction des identités que les raisons des conflits et des crises. À celles qui traversent l’histoire des sociétés humaines, il faut ajouter celles qui nous confrontent en ce moment-même aux limites de certaines conceptions du monde, majoritairement issues de la modernité occidentale ; celles-ci ont opposé « nature » et « culture », faisant de la première une ressource dont l’exploitation montre autant de limites qu’elle annonce de dangers. « Altériser » nous mène donc tout aussi bien aux frontières du socius (communautés ou sociétés) qu’à celles de l’anthropos (notre commune humanité, diversement conçue et circonscrite).

Domaines d’étude associés : frontières, migrations, (post)colonialités, intersectionnalité, conflits et crises, nature et culture, humain et non-humain.

Dévier

Aussi importante pour les sciences sociales que la question de l’altérité, l’action de dévier d’une norme ou d’un modèle institué interroge non seulement le tracé des frontières entre le « normal » et le « pathologique », mais aussi tout ce qui peut faire force de norme et de loi dans telle culture ou telle société. Ce domaine de recherche conduit à croiser le point de vue de celles ou ceux qui ont été labellisés comme « déviants » et la vision qu’ont de ces personnes les institutions chargées de les encadrer. Tant du point de vue de la sociologie que de celui de l’anthropologie ou de l’histoire, il s’agit là d’un pôle d’enquête en plein essor au sein du LinCS. Sa dynamique conduit également à donner un sens résolument créatif au verbe « dévier », dès lors qu’il s’agit d’interroger les contre-modèles que l’on peut produire afin de réinventer les manières de coexister dans, puis au-delà des conflits et des crises qui agitent nos sociétés.

Domaines d’étude associés : déviances et contrôles sociaux, police, justice, prison, droits fondamentaux et nouveaux droits (culturels, sociaux et environnementaux), normes et règles.

 

Pour l’ensemble de nos thématiques, les domaines d’étude associés ne constituent en aucun cas une liste exhaustive ; tous impliquent en revanche l’interdisciplinarité.

 

 

Le LinCS a été créé le 1er janvier 2022. C’est une unité mixte de recherche dont les tutelles sont le CNRS et l’Unistra. Le rattachement principal du LinCS est la section 38 du CNRS (Anthropologie et étude comparative des société contemporaines). Ses rattachements secondaires sont les sections 33 (Mondes modernes et contemporains) et 36 (Sociologie et sciences du droit).