Vauban, arithmétique, économie et politique
Vauban (1633-1707), grand poliorcète du règne de Louis XIV, a protégé le royaume par ses places fortes et le « pré carré», mais il a aussi souhaité améliorer la gestion des ressources du pays et le bien-être de la population au moyen de calculs et mesures, instruments et « boussole d’un bon gouvernement », comme d'une bonne architecture.
En premier lieu, il a voulu connaître la population « première richesse du royaume » puis l’accroître, convaincu de la supériorité numérique de celle-ci en Europe. Il conçoit le premier recensement par tête et soucieux de trouver un équilibre entre l’espace et la population, soit entre ressources et besoins, il compare la densité moyenne qu'il déduit et la densité idéale qu'il calcule par rapport à la productivité agricole d’une lieue carrée. Sa passion des calculs le pousse à des « supputations sur l’accroissement » à partir de différents exemples théoriques : la descendance d’une truie (qui permettrait de nourrir correctement les français) , celle des patriarches depuis le Déluge et celle des colonies d’Amérique (terres nouvelles) afin de proposer au Roi une politique volontariste de peuplement, proche de celles décrites par les utopistes.
Vauban a pu observer le royaume au cours de 40 années de carrière d'ingénieur militaire, a recueilli beaucoup de données qu'il a notamment demandées aux intendants et aux gouverneurs lors de ses passages. Il possède une très importante bibliothèque sur tous les sujets dont les mathématiques et, à partir de 1699, il assiste à des séances de l’Académie des sciences où il échange avec les plus célèbres mathématiciens et peut avoir connaissance des travaux des correspondants étrangers. La présence à ses côtés d’un homme d’Église proche des Jansénistes, Vincent Ragot de Beaumont, oriente aussi sa pensée dans ses écrits des dix dernières années. Il aspire à être un conseiller du roi et cherche à démontrer par ses calculs la justesse de ses propositions. Les calculs sont en permanence au centre de sa pensée politique et économique. Proportions, équilibre, épargne sont ses maîtres-mots. La mise en forme des résultats dans des tables permet d’associer dans une comparaison plusieurs paramètres et lui permet de catégoriser l’homme qu’il appréhende comme soldat, consommateur, habitant ou contribuable. La diversité des calculs effectués et la recherche d’outils pour mieux compter, mesurer et prévoir forment l’originalité remarquable des écrits de Vauban qui trouvent leur place dans la genèse de l’économie politique étudiée par Jean-Claude Perrot : « C’est aussi le maniement, mené jusqu’à son terme, de ce nouvel outil (les capacités opératoires des chiffres arabes), qui a finalement transformé la nature du savoir » (Perrot, 1992, p. 22).
Parmi les nombreux exemples d’études retrouvées dans ses archives et repris aux siècles suivants nous citerons ses observations des inégalités dans le paiement des travaux de terrassement des places-fortes qui le poussent à rechercher comment établir le juste prix du travail pour le roi et pour le soldat en estimant la force de travail, et, dans un idéal de justice ses propositions de réforme de la fiscalité qui repose sur l'impôt proportionnel aux revenus et acquitté par tous.